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vendredi 26 septembre 2014

L'urgence de ralentir

« CELUI qui croit qu’une croissance infinie est possible dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste » (Kenneth Boulding.)
Pendant 3 jours à Paris, Green Market
avec les producteurs de la @ruchequiditoui
« Course suicidaire et inconsciente », selon Edgar Morin, l'accélération financière et technologique, déconnectée du rythme de l’homme, mène notre système à l'épuisement et vers des catastrophes tout à la fois écologiques, économiques et sociales. Mais alors que des algorithmes accentuent de manière exponentielle la spéculation financière hors de tout contrôle, aux quatre coins de la planète des citoyens refusent de se soumettre aux diktats de l'urgence et de l’immédiateté, pour redonner sens au temps.

En Europe, aux États-Unis, en Amérique Latine ou encore en Inde, des initiatives, individuelles et collectives proposent des alternatives basées sur d’autres paradigmes.

Reprendre le contrôle

À rebours du « train fou » du modèle dominant, ces alternatives citoyennes, qui rejoignent les analyses de philosophes, sociologues, économistes et scientifiques, pourraient bien être les pionnières du monde de demain.
  • Au Rajasthan, le Barefoot College fondé par Bunker Roy recrute des femmes de milieux ruraux pour les former à l'ingénierie solaire
  • Les villes de Romans-sur-Isère et de Bristol ont mis en place une monnaie locale (*) pour résister à la toute-puissance des banques et favoriser les circuits courts
  • À Ithaca, au nord de New York, des coopératives font leurs preuves pour relocaliser l'économie...
Des gens qui se battent, qui mettent les valeurs humaines au centre de leurs préoccupations, qui veulent reprendre le contrôle de leur vie et de leur alimentation... autant d’initiatives citoyennes et solidaires qui s'épanouissent à travers le monde (dont certaines depuis plus de 20 ans).

Autant de gestes qui remettent l’homme au cœur du système.

Des liens...
- Une note de synthèse à télécharger du toujours intéressant CREDOC
- Sur Inter « Croissance zéro: que peut faire la France ? »
- Un article de Bernard Maris, paru dans Charlie Hebdo

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(*) Ce sont des monnaies «  militantes ». Leur ambition est avant tout de redynamiser le tissu économique et les échanges sur un territoire donné. Leurs utilisateurs s’engagent à respecter un certain nombre de valeurs sociales, écologiques et éthiques. Elles permettent de relocaliser l’activité en privilégiant les petits producteurs et magasins par rapport aux grandes surfaces et au e-commerce et ambitionnent de créer de l’emploi. Les acteurs de la grande distribution et les producteurs industriels en sont généralement exclus. L’argent, qui n’a cours que sur le territoire, ne risque pas d’en sortir et favorise la création de lien social.
Autres atouts, les circuits courts permettent de limiter l’impact écologique des échanges. Et généralement, une partie des euros convertis en monnaie locale sont réinvestis dans le tissu associatif ou solidaire du territoire.

jeudi 25 septembre 2014

Economie circulaire: le recyclage ne constitue pas un bénéfice en soi

VOUS voilà donc. C’est le jour de la semaine pour la corvée du recyclage. Pendant les 7 derniers jours, vous avez accumulé vos bouteilles en plastique, vos canettes métalliques et vos bocaux en verre, prêts au recyclage par l'homme/femme moderne que vous êtes. En fait, chaque année, nous recyclons ou compostons plus de 200 kg de déchets par tête dans l'UE. Le recyclage suppose donc clairement un grand avantage, n'est-ce pas? Mauvaise réponse. Parce que le recyclage n'est pas le bénéfice.

Le recyclage est la référence normale, le repère responsable. C’est tout.

Ou du moins il doit l’être. Nous ne devrions pas voir dans le recyclage un avantage, nous ne devrions pas nous féliciter parce que nous recyclons, nous devrions plutôt voir cela comme une attitude normale, à laquelle raisonnablement s’attendre. Voir dans le recyclage un bénéfice alors même que nous nous débarrassons n’importe comment d'une boîte de conserve, peut alourdir le fardeau de notre culpabilité. D'ailleurs, nous allons regretter la petite récompense, cette petite tape dans le dos. En outre, vous pouvez toujours recycler la prochaine boîte de conserve, un geste qui vous redonnera bonne conscience cette fois-ci. Donc exit à l'élimination de cette première boîte maintenant oubliée, vous êtes pardonnés.

Donc, si le recyclage n'est pas l’avantage, mais plutôt le point de repère normal, où en est donc le bénéfice?
               
Eh bien, il n'y en a aucun. Le recyclage doit être la norme. Nous devons soutenir nos ressources parce qu’elles sont limitées et réduire la consommation énergétique de nos activités. Nous devons vivre dans la logique d’une véritable durabilité. Nous devons effectuer la transition vers une économie circulaire. Pour ce faire nous avons besoin de meilleures pratiques de façon à ce qu’elles puissent devenir la norme et cesser d'accepter les mauvaises pratiques parce qu’elles sont menées par Monsieur Tout le Monde. Parce que le recyclage ne représente pas un bénéfice, mais une responsabilité.

Cette canette que vous avez jetée représente un lourd fardeau. Bien souvent, nous sommes devenus désinvoltes à trop jeter nos ressources, à mettre à la décharge nos matières précieuses, à disposer de nos biens. Chaque année dans l'UE, nous éliminons ou incinérons 280 kg de «déchets» par personne. Nous sommes bien loin d'une économie durable et circulaire. Cela doit changer parce que nous n’avons tout simplement pas le choix. Le traitement de nos déchets est donc un lourd fardeau et si vous commencez à penser ainsi, eh bien, à chaque fois que vous atteigniez la poubelle, vous allez ressentir ce fardeau de culpabilité. Or, le bac de recyclage est situé juste là et est certainement libre de culpabilité.
Remplaçons donc le fardeau de la culpabilité par une responsabilité bien consciente.

Le chemin vers une économie circulaire

L'importance de ceci peut être illustrée par le parcours d’une canette en aluminium. En France, le taux moyen de recyclage des canettes en aluminium est de 57%. 43% des canettes sont donc jetées avec les autres déchets ménagers et ne sont pas recyclées. La durée de vie moyenne d'une canette d'aluminium, du berceau au tombeau, est de seulement 60 jours. Dans ce temps, le minerai d'aluminium a été extrait de la terre, transporté, traité et transformé en une nouvelle canette. La canette est également passée à travers la chaîne de distribution, vendue dans un supermarché, bue par un consommateur et finalement éliminée.

Avec ce taux de recyclage modeste et sa courte durée de vie, 95% de l'aluminium d'origine sera perdue dans la décharge en moins d'un an. Pas même un soupçon de durabilité, de développement durable ou d'économie circulaire. Ceci est tout à fait inacceptable et illustre la raison pour laquelle chaque canette en aluminium doit être recyclée.

Cette mentalité peut être poussée plus loin:
  •  Aller à pied au travail réduit votre empreinte carbone ? Faux, conduire augmente le poids de votre empreinte carbone
  • Fermer le robinet pendant que vous vous brossez les dents économise l'eau? Faux, le laisser ouvert augmente le poids de votre empreinte carbone
  • Manger de la nourriture végétarienne est un bénéfice pour l'environnement? Faux, manger de la viande augmente le poids de votre empreinte carbone

Alors, ressentez-vous à présent ce fardeau de la culpabilité? Vous voyez, les faits parlent d'eux-mêmes. Sur notre chemin vers le développement durable, nous devons prévoir le recyclage comme norme de vie, plutôt que comme une exception. Après tout, nous n’allons pas récompenser un comportement normal. Du fait que ce recyclage ne représente pas de bénéfice et que le traitement des déchets est un véritable fardeau.

Remplaçons donc le fardeau de la culpabilité par une responsabilité bien consciente...

© pour l’article original de Craig Jones Circular Economy: Recycling is Not the Benefit.

mercredi 24 septembre 2014

Formation « Emmaüs, quelle Europe » à Cologne

DANS le cadre du plan de formation d'Emmaüs International, Emmaüs Europe organise les 4 et 5 novembre 2014 une formation sur le thème «Emmaüs, quelle Europe». Les objectifs de ces deux jours sont de s'approprier les valeurs fondamentales du Mouvement et de découvrir la construction d’Emmaüs à l’échelle européenne et internationale.

Cette formation se déroulera à la communauté Emmaüs de Cologne en Allemagne, en présence des Conseillers Mondiaux Formation et Nouvelles Générations d’Europe, des formateurs du Mouvement, des personnes ressources du Mouvement ainsi que le responsable et les amis de la communauté de Cologne. Elle s’adresse aux compagnons/compagnes, responsables, amis désireux de renforcer leur appartenance au Mouvement.
Quelques places sont encore disponibles, si vous souhaitez y participer, rendez-vous sur le site Internet d'Emmaüs Europe. Petit bémol : la formation s’adresse aux compagnons/compagnes principalement et il n’y a que quelques 15 places disponibles, ce qui peut paraitre normal, compte tenu du caractère européen de l’évènement.
L’hébergement et la restauration sont prévus à la communauté de Cologne, située dans le nord de la ville.
Les frais de transport aller-retour pour s’y rendre sont financés par les groupes.
Date limite d’inscription, le 30 septembre 2014.

Emmaüs International est un mouvement qui s'appuie sur les 337 associations membres dans 37 pays. Le Mouvement Emmaüs est né de la main d’ Henri Grouès (dit l’abbé Pierre) en novembre 1949 et, contrairement à ce que l’on peut croire, il est sans attache religieuse. Les divers groupes Emmaüs actuels, en France et à l'étranger ont pour objet la lutte contre la pauvreté et l'exclusion.
L’une des caractéristiques majeures du Mouvement est son autosuffisance financière –difficile certes, comme pour pas mal d’autres ONG, mais bien assurée année après année  car la majorité des groupes  ont une activité économique, souvent basée sur la récupération et le réemploi, mais pas exclusivement. Dans certaines régions, les groupes Emmaüs pratiquent également l'agriculture (en Afrique et en Asie) et le micro-crédit (au Liban et au Bangladesh notamment).

lundi 22 septembre 2014

Nouveau ! Humacoop lance la Formation Remote Support Project

HUMACOOP lance la formation Elaboration et gestion de projet en pilotage à distance (Remote support project) du 3 au 6 novembre 2014 à Grenoble.

Cette formation est destinée aux personnels d'ONG qui souhaitent se spécialiser dans ce type de gestion de projet. Elle permet d'acquérir des outils théoriques et techniques pour gérer un programme d’aide humanitaire internationale à distance.

Sur 4 jours, les 3 intervenants se proposent d'analyser les éléments clés en contexte de remote management et remote support : acceptation de l‘organisation, construction de réseaux, sécurité, communication et visibilité, diplomatie humanitaire, renforcement des capacités des équipes nationales, teambuilding, gestion financière, monitoring de projet (suivi-évaluation), stratégie de communication interne et externe. 
Tarif : 490 euros
Toute la documentation détaillée est disponible sur demande 

Pour s'inscrire, il faut envoyer un cv et une lettre de motivation à info@humacoop.com
Les demandeurs d'emploi peuvent demander un devis pour les financements Pole Emploi.
Un paiement échelonné est possible pour les financements personnels.

mardi 16 septembre 2014

L'état de l'insécurité alimentaire

Prix élevés des denrées alimentaires et sécurité alimentaire.
Assurez-vous de cliquer sur le lien ci-dessous pour voir d'autres cartes interactives et en gros plan. * Tous les droits réservés à endinghunger.org et futurefortified.org


SELON le dernier rapport conjoint  FAO, FIDA et PAM sur l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde (SOFI 2013), si le nombre d’individus souffrant de la faim diminue lentement, l’objectif premier des OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement), à savoir l’éradication de la faim dans le monde, est loin d’être atteint. D'après ces estimations, en 2011-2013, 842 millions de personnes dans le monde, soit près d'une personne sur huit, souffraient de faim chronique. Ce chiffre est en recul par rapport aux 868 millions de personnes sous-alimentées en 2010-12.

Quand les prix des produits de base ont flambé en 2007-2008, la crainte d'une crise alimentaire mondiale menaçant les conditions de subsistance de millions de personnes et provoquant une vague de faim et de pauvreté a conduit la communauté internationale à organiser des réunions en vue de décider de mesures immédiates pour atténuer les impacts élevés des prix sur les populations de la planète les plus pauvres et vulnérables.

L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2013 présente les dernières statistiques sur la prévalence à l'échelle mondiale de la sous-alimentation. Il examine l'impact des prix élevés des denrées alimentaires et conclut que la faim chronique dans le monde a augmenté rapidement, qu'elle touche à présent largement plus de 900 millions de personnes et menace de compromettre l'accomplissement des objectifs de réduction de la faim fixés à l'horizon 2015 par le Sommet mondial de l'alimentation de 1996 et qui constituent le premier objectif du Millénaire pour le développement.

Le rapport examine aussi comment les prix élevés des denrées alimentaires présentent une opportunité pour relancer la petite agriculture dans les pays en développement. Moyennant des mesures incitatives appropriées, les ménages d'agriculteurs pourraient obtenir des avantages immédiats. Le rapport plaide pour que la FAO suive une approche globale sur deux fronts pour remédier à l'impact négatif des prix élevés des denrées alimentaires sur la faim dans le monde. Cette stratégie consisterait à mettre en œuvre des mesures qui soient de nature à permettre au secteur agricole, en particulier aux petits exploitants des pays en développement, de faire face à l'augmentation des prix des denrées alimentaires, tout en établissant des filets de sécurité ciblés et en exécutant des programmes de protection sociale en faveur des populations les plus affectées par l'insécurité alimentaire et les plus vulnérables

Mais la sécurité alimentaire est une question complexe, dont Il est plus facile de comprendre les diverses dimensions lorsqu'elle est présentée par le biais d'une série d'indicateurs. C’est ainsi que ce nouveau rapport, est consacré cette année à la présentation et à l'analyse d'une série d'indicateurs qui renseignent sur les quatre dimensions de la sécurité alimentaire: disponibilités alimentaires, accès économique et physique à la nourriture, utilisation des aliments et stabilité au fil du temps. Des indicateurs qui prennent en compte non seulement les risques exogènes (risque climatique, épizootique) mais également de marché, dont l’extrême volatilité des prix et ses conséquences sur la sécurité alimentaire mondiale.

Construire des indicateurs et des instruments d’évaluation transparents et appropriés est en effet une contribution essentielle à la pérennisation de la sécurité alimentaire et à l’émergence d’une gouvernance mondiale en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire. La plus grande difficulté réside cependant dans la capacité d’un indicateur à évaluer conjointement l’efficience économique et l’optimisation de la sécurité alimentaire, deux dimensions intimement liés. D’où la nécessité de la création d’une agence de notation, dont l’une de ses missions serait de fournir aux décideurs et différentes parties prenantes du monde agricole des indicateurs susceptibles de répondre aux questions au cœur des préoccupations internationales.

http://www.endinghunger.org/en/mappinghunger/hunger_map_2011.html
http://maplecroft.com/about/news/food_security.html

http://futurefortified.org/funding-infographic

vendredi 12 septembre 2014

Capitalisme recyclable

JE soupçonne le capitalisme moderne de vouloir devenir recyclable. Il lui arrive comme à l'énergie: il ne peut ni se créer ni se détruire mais uniquement se transformer (le dualisme bien connu de Robert von Mayer).

Il est maintenant temps de jouer à se réinventer, et pas seulement à cause de la crise. Le changement climatique, qui pendant 12 jours – eh oui – va nous inonder de prophéties depuis Lima, oblige le système à se transmuer en caisse de résonance écologiste. Sans précipitation, petit à petit. Au cas où les 200.000 euros que nous coûte aujourd'hui le dernier jouet de Ferrari soient de l'argent jeté par la fenêtre l'après-demain, vu que son propulseur de huit cylindres et plus de 450 chevaux de puissance émet beaucoup – mais alors beaucoup, beaucoup, beaucoup – de CO2.

L'ami Sergio Marchionne (le PDG de Ferrari à partir du 1er octobre, successeur de l’ineffable Luca di Montezemolo) devrait lancer un message rassurant à ses clients: que personne ne s'abstienne d'acquérir un Cavallino Rampante parce qu'il n'est pas dans les intentions de la maison de Maranello de fabriquer des répliques incorporant des moteurs géants de Scalextric(1). Tant qu'il ne l'aura
pas fait, méfiez vous. Nous allons être témoins de la multiplication des voitures électriques - pour le bonheur des grands de l'industrie automobile - et assister en conséquence à l'augmentation du prix du watt électrique jusqu'à nous rappeler celui de l'essence de 98 octanes. Et tant qu'à faire, les forces navales de l'OTAN vont devoir intercepter les embarcations des pirates somaliens qui n'incorporent pas des panneaux photovoltaïques, et la garde civile espagnole ou les carabiniers italiens en feront de même avec les pirogues des boat-people qui ne se seraient pas recyclées en incorporant des turbines à air.
Qu'on ne s'y trompe pas. Le Disneyland durable du futur n'arrivera jamais aux endroits où les damnés de la terre peinent à vivre – tout comme ils n'ont jamais bénéficié de la manne des combustibles fossiles.

Pour se rassurer, l'Occident (c'est-à-dire, les pays développés qui nous préoccupons tant de l'écosystème) va bientôt disposer d'une moderne technologie militaire de modification de l'environnement: des armes géophysiques, capables de convertir le plus beau des vergers en un désert clé en main. Pour que rien ne soit hors de contrôle. Comme maintenant.

Tout est bon pour préserver le climat.
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(1) Scalextric, la célèbre firme britannique de slot-racing...

mercredi 10 septembre 2014

Les créatifs culturels ou la révolution des invisibles

POUR repérer les mutations en cours, les mutations à venir… pour faire émerger le monde de demain, la révolution des invisibles est de plus en plus le vecteur des innovations sociales. Et de plus en plus, elle agit hors du cadre des corps intermédiaires de nos sociétés –que ce soient les partis politiques et les syndicats conventionnels.


Source: Van Jones, design by Citizen Engagement Lab
Ils n’appartiennent pas à une catégorie socioprofessionnelle particulière ni à une ethnie ni à une religion ni à un courant politique. Pas davantage à une tranche d’âge. Il y a parmi eux autant d’adultes actifs que de jeunes ou de retraités. En fait, la totalité de la population est touchée. A peine distingue-t-on parmi eux, une très légère prédominance des milieux les plus éduqués, les plus aisés, et des femmes. Pour la plupart ils se croient isolés dans leurs choix et leurs convictions. Ils estiment leur nombre à moins de 5% dans leurs pays respectifs, et ils ignorent absolument qu’ils sont, au contraire, assez nombreux.
Aux États-Unis, où ils ont été repérés la première fois, ils n’étaient que 4% de la population avant les années 60, mais déjà 26% en 1999 et près de 35%  en 2008.  Soit, tout de même, 80 millions d’adultes. 100.000 personnes ont été interrogées dans ce pays pendant une quinzaine d’années pour parvenir à la publication de ces résultats, et pour la même année, les mêmes pourcentages, à peu près, ont été estimés en Europe et au Japon. Un nombre donc significatif.
Plus du quart d’une population ce n’est pas rien. Pourtant, ils sont largement ignorés des politiques et des médias. Alors les travaux que je viens de citer n’ont pas d’intérêt… à peine n’ont-ils été signalés et le grand public n’en a pas eu connaissance. Une bien étrange indifférence, mais qui ne surprend pas les initiateurs de ces enquêtes : le sociologue Paul H. Ray, de l’Université de Michigan, et la psychologue Sherry R. Anderson, de l’Université de Toronto. Il est temps de dire, quels sont ces 80 millions de nord-américains et tous ceux qui, d’un continent à l’autre, partagent leurs valeurs. Eh bien, c’est Paul H. Ray qui leur a trouvé un nom. Ce sont les « créatifs culturels », acteurs des changements de sociétés qui, par leurs valeurs et par leurs modes de vie, rejettent radicalement le modèle occidental moderniste, dans lequel ils sont nés, celui de l’individualisme, du capitalisme et du divertissement. A eux tous ils seraient les inventeurs d’une société post-moderne et même d’une civilisation, peut-être sur le point de devenir aussi importante que le fut le modernisme il y a 500 ans.

Et voilà bien la raison pour laquelle médias et politiques n’auraient pas perçu l’importance du phénomène. C’est ce qui se produit –nous disent Ray et Anderson– quand on passe à un type de culture résolument nouveau. L’ancien système, convaincu que le modernisme est la seule manière d’être normal, non seulement ne comprend pas, mais ne peut pas voir.
Les créatifs culturels, où qu’ils soient, se retrouvent en tous cas dans des socles essentiels pour eux : une meilleure place faite aux femmes dans la sphère publique, l’intégration des thèmes écologiques; tous sont très vigilants sur l’alimentation, tous recherchent des pratiques naturelles de production ou d’élevage; la participation citoyenne à la vie de la collectivité, et aussi –c’est une dimension importante– le développement spirituel personnel, l’intérêt pour toute forme, en fait, de spiritualité.

Alors, en se tournant vers d’autres valeurs, les créatifs culturels vont peut-être modifier profondément notre vision du monde. Ils ne sont pas inactifs, on le sait. Mais il existe aussi bien d’autres formes d’actions collectives.

Les créatifs culturels représentent en Occident entre 15 et 30% de la population, selon qu’on parle de « noyau dur » ou de « noyau élargi ». Il s’agit d’une minorité, bien sûr ; mais si l’on regarde à travers l’histoire, les changements de société viennent souvent de l’extérieur. Ce sont les minorités qui innovent et qui créent les mouvements historiques. Les psychologues sociaux, dont Serge Moscovici, appellent cela des « minorités actives ». Ce sont elles qui produisent des pratiques nouvelles, ce sont elles qui innovent. Et pourquoi les sociétés produisent-elles des minorités ? Parce qu’elles représentent leur évolution naturelle; elles produisent des minorités pour expérimenter, pour « produire » de l’ « expérimentation sociale ».

Les minorités actives influencent donc bien le cours des sociétés.
On croit que, pour avoir de l’influence, « il faut » du pouvoir, des réseaux, des compétences. C’est l’idée qu’on a des gens avec influence, des élites. Mais c’est comme si la recette était de « se conformer pour innover ». Or, cela est complètement paradoxal. C’est ce que les psychologues sociaux ont mis en lumière: les vraies innovations se propagent « par le bas ». Et ces psychologues ont surtout démontré que les minorités sociales ont la capacité d'influencer énormément, mais à deux conditions seulement.
La première est qu’elles soient constantes. La deuxième c’est qu’elles aient des convictions –et qu’elles les gardent. Parce que plus elles ont des convictions et plus elles les affirment, plus en face de la majorité, les résistances évoluent et changent.

Ces résistances, tournent le dos au marché, au capitalisme… l’innovation sociale, pourrait-elle aussi venir du marché ? C’est la thèse que soutient le biologiste évolutionniste Jared Diamond –auteur du renommé « Collapse », Effondrement, 2005. Dans un article récent du NY Times, il explique que ce sont les entreprises transnationales qui vont protéger l’environnement. Parce qu’une faible consommation des ressources est économiquement rentable, tout comme le fait d'éviter les pollutions de tout ordre. Pas besoin de citer toutes les grandes enseignes multinationales qui s’y sont donné à cœur joie… investir dans les énergies renouvelables, cela fait faire des économies sur le long terme. Or, « produire plus avec moins de ressources » est une constante du capitalisme –cela s’appelle « gagner en productivité ». Le problème est que, tant qu’augmentera la croissance de la consommation, plus les effets de rebond rendront le solde toujours négatif pour l’environnement… on ne peut donc pas assumer une telle hypothèse de la part des multinationales –à moins de faire preuve d’une candeur coupable ou de s’installer dans une certaine complicité vis-à-vis des agissements plus profonds et latents de ces sociétés. Et beaucoup, n’en sont pas convaincus non plus.

D’autres exemples de changements réussis à travers l’histoire.
Ray parle de changements de civilisation. On peut parler de l’ère Meiji au Japon, avec des bouleversements politique, social et culturel indéniables. Plus proche de nous, on peut citer la réunification allemande, véritable success story au vu de ce que l’Allemagne est devenue aujourd’hui.

Mais l’enjeu écologique est un enjeu planétaire. Ce n’est pas un évènement local comme les évènements immédiatement cités ci-dessus. C’est pour cela qu’il est aisé d’imaginer que les initiatives seront multiples et qu’elles vont naître des créativités locales, à défaut d’avoir un gouvernement mondial –Occupy Wall Street, les « indignados » de Madrid, les rassemblements protestataires de la place Maidan à Kiev…

L’essentiel n’est pas que de changer la politique, mais de changer les valeurs, les modes de vie, les rapports entre les gens et la perception qu’on a du monde