La force des symboles, c'est qu'ils sont là pour nous éclairer lorsqu'on ne sait plus quoi trop penser.
Depuis dix jours
Paris pleure ses morts, honore ses héros et panse ses plaies. Avec une question
au bord des lèvres : "Et après?"
Devant le
restaurant 'La Belle Equipe' dix-neuf personnes sont tombées, ils étaient des
dizaines lundi à venir leur rendre hommage. Beaucoup s'en sont sortis indemnes
-ou presque car ils essaient d'oublier, mais les images ils ne les oublient
pas, on essaie de dormir mais on n'arrive pas à dormir, ils revoient les scènes
alors que les tiroirs de la mémoire voient défiler les images. Sans arrêt. Des
corps sans vie. Une "scène de guerre" diront certains -ce qui est
inexact, mais on les comprend, on hoche de la tête, on garde le silence...
comme pour les entourer de nos bras et les réconforter.
Quatre-vingt-neufdix morts au Bataclan. Un carnage, les premiers secours des urgentistes arrivent et
bientôt, en quelques minutes, ils épuisent tout ce dont ils disposent comme
pansements compressifs. A l’extérieur, les secours, prennent en charge les
victimes des autres quartiers attaqués. Mais au Bataclan la zone est encore
trop dangereuse et l’organisation de l’évacuation des blessés fut une tâche
ardue pour les secours.
Et puis il y a
tous ces orphelins puisqu'il y a un nombre important de jeunes parents décédés.
De la reconnaissance
Et puis il y a
tous ceux, anonymes ou pas, qui étaient là, au moment où on les nécessitait le
plus... ceux qui ouvraient leur porte aux gens bloqués aux alentours des lieux
des attentats, bien sûr -ah, le peuple de Paris. Mais aussi, et surtout, ces
armées de policiers, de pompiers et des personnels médicaux qui affluaient dans
un élan généreux les uns, de solidarité les autres, de devoir plus que
professionnel (la BRI, le RAID, et des militaires pour soulager le dispositif
policier). Un devoir d'humanité, oui, c'est cela. Ils méritent la
reconnaissance de la nation.
Mais il est des
blessures invisibles auxquelles les secouristes même les plus aguerris ne sont
pas toujours préparés : aucun professionnel de santé n'a vu défiler autant
de blessés par balles dans un lapse de temps aussi court. Mais après, c’est
l’après qu’il va falloir gérer –le defusing
dont parlent les militaires. L’aide devra se prolonger dans le temps pour
beaucoup de rescapés. Un suivi psychologique -souvent assuré par le service des
armées du Val-de-Grâce- pour aider tous ces damnifiés "collatéraux" à
évacuer –ou vivre avec– les images de l'horreur incrustées dans leur rétine. Il
en faudra du temps.
Toute la semaine
Paris a vécu au rythme des alertes à la bombe et des colis suspects. Tout le
monde est sur ses gardes. Avec une certaine dose de psychose, sans doute, mais
comment voulez-vous faire autrement?
A ne pas faire après Paris
Paris, ma ville,
est peut-être celle où je me suis toujours senti plus à l'aise. Je ne suis
jamais allé à Bagdad (où les événements terroristes de Daesh comme ceux de Paris
sont relativement monnaie courante); ou à Beyrouth, où ils ont juste commencé;
ou la ville ravagée d’Alep en Syrie (merci à Bachar Al-Assad pour ses barils bombe
à la terreur si renommée); ou à Mumbai (qui a connu une première version d'une
telle attaque terroriste); ou à Sanaa, la capitale du Yémen, aujourd'hui
partiellement détruite par l’armée de l'air saoudienne avec le concours des États-Unis;
ou à Kaboul, où les attaques des talibans contre les restaurants sont devenus
la norme; ou la capitale turque, Ankara, où des kamikazes de l’état islamique ont
tué récemment 97 manifestants lors d'un rassemblement pour la paix.
J’ai passé du
temps à l'étranger et suis toujours revenu à Paris, comme un havre, mon port
d’attache. Et voilà donc, que le 13 Novembre 2015, je me trouve
particulièrement révulsé suite aux actes barbares et le massacre de civils menés
par trois équipes de kamikazes bien formés, bien organisés, bien armés et évidemment
bien entraînées en tant que première force de frappe de l'enfer de l'État
islamique en Syrie et en Irak.
L'État islamique
-et ses camarades d’Al Qaeda- ont développé (pour emprunter un terme de John
Feffer) une stratégie des "terres dissidentes". Pour continuer à grandir,
ils ont besoin des États-Unis et ses alliés pour leur prêter une main
éternellement destructrice afin écraser davantage les mondes (libres) autour
d'eux. Donc, en réponse aux attentats de Paris, la déclaration du président
français François Hollande – «nous allons mener une guerre qui sera
impitoyable » – était juste ce que le médecin de la terreur avait prescrit,
à savoir la pression croissante de Washington pour une "grande réponse
militaire" de Paris. Les premières frappes aériennes de représailles
françaises contre Raqqa la "capitale" syrienne de Daesh, ont en effet
été lancées dans les deux jours après les attentats.
Tout cela est une
manne tombée du ciel pour l'Etat islamique, plus c’est "impitoyable" plus
c’est mieux. Après tout, l'objectif de ce groupe de disjonctés est, comme ils
écrivent dans leur magazine en ligne « l'extinction des zones grises» dans
le monde. En d'autres termes, ils cherchent à exacerber les différences
partout, ce qui signifie l'ouverture de l’abîme où la complexité et
l'interaction existaient autrefois. Leur rêve est de vivre dans un monde en
noir et blanc de clarté politique et religieuse absolue (et de calamité), tout
en engageant ce que les experts américains appellent le «choc des
civilisations». Quelle joie pour l'État islamique!
Dans le contexte
européen et suite à la destruction de ces «zones grises» dans l'esprit et dans la chair, les
attentats de Paris devraient également être considérés comme la première incursion de
l'État islamique dans la campagne présidentielle française de 2017. Pensez à ces
massacres comme une approbation enthousiaste des candidats extrémistes comme
Marine Le Pen, dont les sondages étaient déjà à la hausse avant même les
attaques, et son Front National anti-immigration, anti-musulman. Elle est
maintenant, en effet, la candidate choisie, la mieux susceptible de chasser les zones
grises. Dans le processus, bien sûr, la pression est bien grande auprès des
plus en plus isolées populations musulmanes de France –et ne fera qu'augmenter.
De telles
attaques sont la panacée pour ajouter du vent dans les voiles déjà bien gonflées
des partis d'extrême-droite partout en Europe.