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mardi 24 novembre 2015

La force des symboles et la danse de la mort


La force des symboles, c'est qu'ils sont là pour nous éclairer lorsqu'on ne sait plus quoi trop penser.

Depuis dix jours Paris pleure ses morts, honore ses héros et panse ses plaies. Avec une question au bord des lèvres : "Et après?"

Devant le restaurant 'La Belle Equipe' dix-neuf personnes sont tombées, ils étaient des dizaines lundi à venir leur rendre hommage. Beaucoup s'en sont sortis indemnes -ou presque car ils essaient d'oublier, mais les images ils ne les oublient pas, on essaie de dormir mais on n'arrive pas à dormir, ils revoient les scènes alors que les tiroirs de la mémoire voient défiler les images. Sans arrêt. Des corps sans vie. Une "scène de guerre" diront certains -ce qui est inexact, mais on les comprend, on hoche de la tête, on garde le silence... comme pour les entourer de nos bras et les réconforter.

Quatre-vingt-neufdix morts au Bataclan. Un carnage, les premiers secours des urgentistes arrivent et bientôt, en quelques minutes, ils épuisent tout ce dont ils disposent comme pansements compressifs. A l’extérieur, les secours, prennent en charge les victimes des autres quartiers attaqués. Mais au Bataclan la zone est encore trop dangereuse et l’organisation de l’évacuation des blessés fut une tâche ardue pour les secours.

Et puis il y a tous ces orphelins puisqu'il y a un nombre important de jeunes parents décédés.

De la reconnaissance

Et puis il y a tous ceux, anonymes ou pas, qui étaient là, au moment où on les nécessitait le plus... ceux qui ouvraient leur porte aux gens bloqués aux alentours des lieux des attentats, bien sûr -ah, le peuple de Paris. Mais aussi, et surtout, ces armées de policiers, de pompiers et des personnels médicaux qui affluaient dans un élan généreux les uns, de solidarité les autres, de devoir plus que professionnel (la BRI, le RAID, et des militaires pour soulager le dispositif policier). Un devoir d'humanité, oui, c'est cela. Ils méritent la reconnaissance de la nation.

Mais il est des blessures invisibles auxquelles les secouristes même les plus aguerris ne sont pas toujours préparés : aucun professionnel de santé n'a vu défiler autant de blessés par balles dans un lapse de temps aussi court. Mais après, c’est l’après qu’il va falloir gérer –le defusing dont parlent les militaires. L’aide devra se prolonger dans le temps pour beaucoup de rescapés. Un suivi psychologique -souvent assuré par le service des armées du Val-de-Grâce- pour aider tous ces damnifiés "collatéraux" à évacuer –ou vivre avec– les images de l'horreur incrustées dans leur rétine. Il en faudra du temps.

Toute la semaine Paris a vécu au rythme des alertes à la bombe et des colis suspects. Tout le monde est sur ses gardes. Avec une certaine dose de psychose, sans doute, mais comment voulez-vous faire autrement?

A ne pas faire après Paris

Paris, ma ville, est peut-être celle où je me suis toujours senti plus à l'aise. Je ne suis jamais allé à Bagdad (où les événements terroristes de Daesh comme ceux de Paris sont relativement monnaie courante); ou à Beyrouth, où ils ont juste commencé; ou la ville ravagée d’Alep en Syrie (merci à Bachar Al-Assad pour ses barils bombe à la terreur si renommée); ou à Mumbai (qui a connu une première version d'une telle attaque terroriste); ou à Sanaa, la capitale du Yémen, aujourd'hui partiellement détruite par l’armée de l'air saoudienne avec le concours des États-Unis; ou à Kaboul, où les attaques des talibans contre les restaurants sont devenus la norme; ou la capitale turque, Ankara, où des kamikazes de l’état islamique ont tué récemment 97 manifestants lors d'un rassemblement pour la paix. 

J’ai passé du temps à l'étranger et suis toujours revenu à Paris, comme un havre, mon port d’attache. Et voilà donc, que le 13 Novembre 2015, je me trouve particulièrement révulsé suite aux actes barbares et le massacre de civils menés par trois équipes de kamikazes bien formés, bien organisés, bien armés et évidemment bien entraînées en tant que première force de frappe de l'enfer de l'État islamique en Syrie et en Irak.

L'État islamique -et ses camarades d’Al Qaeda- ont développé (pour emprunter un terme de John Feffer) une stratégie des "terres dissidentes". Pour continuer à grandir, ils ont besoin des États-Unis et ses alliés pour leur prêter une main éternellement destructrice afin écraser davantage les mondes (libres) autour d'eux. Donc, en réponse aux attentats de Paris, la déclaration du président français François Hollande – «nous allons mener une guerre qui sera impitoyable » – était juste ce que le médecin de la terreur avait prescrit, à savoir la pression croissante de Washington pour une "grande réponse militaire" de Paris. Les premières frappes aériennes de représailles françaises contre Raqqa la "capitale" syrienne de Daesh, ont en effet été lancées dans les deux jours après les attentats.

Tout cela est une manne tombée du ciel pour l'Etat islamique, plus c’est "impitoyable" plus c’est mieux. Après tout, l'objectif de ce groupe de disjonctés est, comme ils écrivent dans leur magazine en ligne « l'extinction des zones grises» dans le monde. En d'autres termes, ils cherchent à exacerber les différences partout, ce qui signifie l'ouverture de l’abîme où la complexité et l'interaction existaient autrefois. Leur rêve est de vivre dans un monde en noir et blanc de clarté politique et religieuse absolue (et de calamité), tout en engageant ce que les experts américains appellent le «choc des civilisations». Quelle joie pour l'État islamique!

Dans le contexte européen et suite à la destruction de ces «zones grises» dans l'esprit et dans la chair, les attentats de Paris devraient également être considérés comme la première incursion de l'État islamique dans la campagne présidentielle française de 2017. Pensez à ces massacres comme une approbation enthousiaste des candidats extrémistes comme Marine Le Pen, dont les sondages étaient déjà à la hausse avant même les attaques, et son Front National anti-immigration, anti-musulman. Elle est maintenant, en effet, la candidate choisie, la mieux  susceptible de chasser les zones grises. Dans le processus, bien sûr, la pression est bien grande auprès des plus en plus isolées populations musulmanes de France –et ne fera qu'augmenter.

De telles attaques sont la panacée pour ajouter du vent dans les voiles déjà bien gonflées des partis d'extrême-droite partout en Europe.