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vendredi 24 octobre 2014

Au grand banquet de la nature, point de couvert disponible pour tous


D’UN côté ces trois chiffres : 3 milliards d’habitants en 1960, 7 milliards en 2014 dont la moitié, 3’5 milliards dans les villes. De l’autre, cette évidence : d’importants changements climatiques ont secoué la planète pendant toute cette période.

Pour beaucoup de démographes, le rapprochement n’est pas pertinent. Mais pas pour tous. En France, Jacques Véron, chercheur à l’Institut National d’Etudes démographiques, s’emploie à croiser les facteurs population, mode de vie et progrès technique. L’un des moyens de lier numériquement la population à l’environnement, explique-t-il, c’est d’en estimer la « capacité de charge ». On parle, par exemple, de la capacité de charge d’un troupeau, c’est-à-dire, sa taille limite au de-là de laquelle il ne pourra plus vivre sur le territoire qu’il s’est choisi sans le dévaster et donc, en souffrir. Appliqué à l’humanité, quelle est la capacité de charge de celle-ci sur la Terre, au de-là de laquelle, la vie n’y sera plus possible? A quel moment y aura-t-il trop d’hommes pour trop peu de ressources? La peur du trop-plein et de ses conséquences pour l’avenir des hommes sur la Terre n’est pas nouvelle. Que nous dit Malthus en 1803 d’un homme « qui naît dans un monde déjà occupé, s’il ne lui est pas possible d’obtenir de ses parents, les subsistances qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a nullement besoin de son travail »? Tout simplement qu’il est de trop. La formule est célèbre. Elle est lapidaire : « au grand banquet de la nature, point de couvert disponible pour lui. »

« Et qu’arrive-t-il, poursuit Malthus, si, au contraire, on lui fait de la place ? » Alors,  « l’ordre et l’harmonie du banquet seront troublés, l’abondance qui régnait auparavant se change en disette et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie. »

Jacques Veron s’empare de cet apologue du banquet qui défend donc la légitimité des populations présentes à consommer sans se préoccuper des suivantes, pour le renverser. Et il lui oppose la définition même du développement durable qui incite, au contraire, à songer au droit des générations futures. Le trop-plein, rappelons-nous, la grande peur du milieu du XXe siècle, « 700 millions de Chinois. Et moi ? Et moi ? Et moi ? ». La planète est alors en pleine explosion démographique. Les spécialistes font des calculs et certaines projections sont carrément effrayantes. En 1972 un rapport du MIT, pour le compte du Club de Rome, alerte aussi sur la croissance de la population, une menace pour l’avenir de l’humanité, puisqu’elle peut conduire à terme, à un épuisement des ressources. Il est donc urgent de l’arrêter.

Quinze ans plus tard, en 1987, c’est le célèbre rapport Brundtland, préparatoire au sommet de la Terre. Il préconise aussi de stabiliser la population à 6 milliards. Mais en dépit de politiques de contrôle des naissances (en Chine notamment), en dépit de la transition démographique en cours, ce nombre sera dépassé : 7 milliards en 2014, il devrait atteindre près de 10 milliards à l’horizon 2050…et cette fois la capacité de charge pourrait bien toucher sa limite.

On a le sentiment qu’en dépit de toutes ces données, que les rapports ne sont pas évidents.
Dans les années 1960, le biologiste Paul R. Ehrlich publie « La bombe P » (P étant population). Il y recentre la question environnementale autour de la question de la pression démographique. Il aboutit à des conclusions qui ne sont pas très humanistes, comme par exemple, la stérilisation. Car, en fait, les démographes ne se sont pas beaucoup occupés de la question environnementale à cause de la décrédibilisation de leur « antihumanisme ». Emmanuel Todd ou Hervé Le Bras, ne se sont intéressés que tardivement à ces questions, alors que l’environnement joue un rôle fondamental dans la démographie.

Du côté des écologistes, prend-on suffisamment en compte la préoccupation la question de la croissance démographique ? Y a-t-il un problème de surpopulation ? Si on regarde l’histoire de l’humanité comme une trajectoire, les deux derniers millénaires de l’humanité, la population a simplement doublé environ; alors qu’en l’espace d’un siècle, le XXe, elle a été multipliée par 6. Pic soudain dans le rythme d’accélération… mais quel est alors le chiffre de la population « normale » ? Ce calcul savant dépend des modes de vie, des technologies disponibles, des répartitions des populations, des innovations sociales, de la répartition des richesses, et plein d’autres phénomènes, enfin… qui donnent lieu aux chiffres les plus fantaisistes sur l’avenir. Le plus probable, semble-t-il, serait celui autour de 10 milliards. Pour l’instant du moins.

Mais la population n’est pas également répartie sur le territoire de la Planète. Il faut différencier ici l’entassement en milieu urbain du volume global d’hommes sur la Terre.
L’entassement urbain est une réalité : il y a des problèmes locaux de surpopulation, mais en même temps cela n’implique pas l’existence d’un problème global de croissance démographique. Ce qui pose problème c’est le mode de vie (on pollue trop, on consomme trop en matière d’énergie), et non pas le nombre. Il s’agit d’un problème « culturel » donc, la fameuse « empreinte écologique », qu’il faudrait corriger. Si l’on prend en exemple, le problème du réchauffement climatique, et donc d’un problème qui n’est pas « local », l’environnementaliste britannique James Lovelock pense que la surpopulation et le changement climatique sont les deux faces d’une même médaille. Or, les régions les plus peuplées ne sont pas celles qui émettent le plus de gaz à effet de serre, ce sont les régions les plus riches et/ou qui sont à forte croissance. Les États-Unis disposent de beaucoup d’espace pour peu de population –et ce sont parmi les plus grands émetteurs.

Le problème n’est donc pas combien nous sommes, mais plutôt comment nous vivons. Une question d’organisation sociale, encore une fois, de gestion et d’usage des territoires et des ressources.

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