D’UN côté ces trois chiffres : 3 milliards d’habitants en 1960, 7 milliards en 2014 dont la moitié, 3’5 milliards dans les villes. De l’autre, cette évidence : d’importants changements climatiques ont secoué la planète pendant toute cette période.
Pour beaucoup de démographes, le rapprochement n’est pas pertinent. Mais pas pour tous. En France, Jacques Véron, chercheur à l’Institut National d’Etudes démographiques, s’emploie à croiser les facteurs population, mode de vie et progrès technique. L’un des moyens de lier numériquement la population à l’environnement, explique-t-il, c’est d’en estimer la « capacité de charge ». On parle, par exemple, de la capacité de charge d’un troupeau, c’est-à-dire, sa taille limite au de-là de laquelle il ne pourra plus vivre sur le territoire qu’il s’est choisi sans le dévaster et donc, en souffrir. Appliqué à l’humanité, quelle est la capacité de charge de celle-ci sur la Terre, au de-là de laquelle, la vie n’y sera plus possible? A quel moment y aura-t-il trop d’hommes pour trop peu de ressources? La peur du trop-plein et de ses conséquences pour l’avenir des hommes sur la Terre n’est pas nouvelle. Que nous dit Malthus en 1803 d’un homme « qui naît dans un monde déjà occupé, s’il ne lui est pas possible d’obtenir de ses parents, les subsistances qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a nullement besoin de son travail »? Tout simplement qu’il est de trop. La formule est célèbre. Elle est lapidaire : « au grand banquet de la nature, point de couvert disponible pour lui. »
« Et qu’arrive-t-il, poursuit Malthus, si, au contraire, on lui
fait de la place ? » Alors, « l’ordre et l’harmonie du banquet
seront troublés, l’abondance qui régnait auparavant se change en disette et la
joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie. »
Jacques Veron s’empare de cet apologue du banquet qui défend donc la
légitimité des populations présentes à consommer sans se préoccuper des
suivantes, pour le renverser. Et il lui oppose la définition même du
développement durable qui incite, au contraire, à songer au droit des
générations futures. Le trop-plein, rappelons-nous, la grande peur du milieu du
XXe siècle, « 700 millions de Chinois. Et moi ? Et moi ? Et moi ? ».
La planète est alors en pleine explosion démographique. Les spécialistes font
des calculs et certaines projections sont carrément effrayantes. En 1972 un rapport du MIT, pour le compte du Club de Rome,
alerte aussi sur la croissance de la population, une menace pour l’avenir de l’humanité,
puisqu’elle peut conduire à terme, à un épuisement des ressources. Il est donc
urgent de l’arrêter.
Quinze ans plus tard, en 1987, c’est le célèbre rapport
Brundtland, préparatoire au sommet de la Terre. Il préconise aussi de
stabiliser la population à 6 milliards. Mais en dépit de politiques de contrôle
des naissances (en Chine notamment), en dépit de la transition démographique en
cours, ce nombre sera dépassé : 7 milliards en 2014, il devrait atteindre
près de 10 milliards à l’horizon 2050…et cette fois la capacité de charge
pourrait bien toucher sa limite.
On a le sentiment qu’en dépit de toutes ces données, que les rapports
ne sont pas évidents.
Dans les années 1960, le biologiste Paul R. Ehrlich publie « La
bombe P » (P étant population). Il y recentre la question
environnementale autour de la question de la pression démographique. Il aboutit
à des conclusions qui ne sont pas très humanistes, comme par exemple, la
stérilisation. Car, en fait, les démographes ne se sont pas beaucoup occupés de
la question environnementale à cause de la décrédibilisation de leur « antihumanisme ».
Emmanuel Todd ou Hervé Le
Bras, ne se sont intéressés que tardivement à ces questions, alors que
l’environnement joue un rôle fondamental dans la démographie.
Du côté des écologistes, prend-on suffisamment en compte la
préoccupation la question de la croissance démographique ? Y a-t-il un
problème de surpopulation ? Si on regarde l’histoire de l’humanité comme
une trajectoire, les deux derniers millénaires de l’humanité, la population a
simplement doublé environ; alors qu’en l’espace d’un siècle, le XXe, elle a été
multipliée par 6. Pic soudain dans le rythme d’accélération… mais quel est
alors le chiffre de la population « normale » ? Ce calcul savant
dépend des modes de vie, des technologies disponibles, des répartitions des
populations, des innovations sociales, de la répartition des richesses, et
plein d’autres phénomènes, enfin… qui donnent lieu aux chiffres les plus
fantaisistes sur l’avenir. Le plus probable, semble-t-il, serait celui autour
de 10 milliards. Pour l’instant du moins.
Mais la population n’est pas également répartie sur le territoire de la
Planète. Il faut différencier ici l’entassement en milieu urbain du volume
global d’hommes sur la Terre.
L’entassement urbain est une réalité : il y a des problèmes locaux
de surpopulation, mais en même temps cela n’implique pas l’existence d’un
problème global de croissance démographique. Ce qui pose problème c’est le mode
de vie (on pollue trop, on consomme trop en matière d’énergie), et non pas le
nombre. Il s’agit d’un problème « culturel » donc, la fameuse « empreinte
écologique », qu’il faudrait corriger. Si l’on prend en exemple, le
problème du réchauffement climatique, et donc d’un problème qui n’est pas « local »,
l’environnementaliste britannique James Lovelock pense que la surpopulation et
le changement climatique sont les deux faces d’une même médaille. Or, les
régions les plus peuplées ne sont pas celles qui émettent le plus de gaz à
effet de serre, ce sont les régions les plus riches et/ou qui sont à forte
croissance. Les États-Unis disposent de beaucoup d’espace pour peu de population –et ce sont parmi les
plus grands émetteurs.
Le problème n’est donc pas combien
nous sommes, mais plutôt comment nous
vivons. Une question d’organisation sociale, encore une fois, de gestion et
d’usage des territoires et des ressources.
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